ENTRETIEN AVEC
EVA CARMEN JARRIAU
Eva Carmen est metteure en scène et comédienne. Elle se forme avec Carole Bergen au conservatoire du XVIIe de Paris et sort diplômée de l'Ecole du Jeu - Delphine Eliet.
Jusqu'en 2017, elle travaille principalement à Buenos Aires en Argentine au sein du collectif MARTE avec qui elle monte des festivals et des performances théâtrales et in situ.
À Paris, elle crée 359 Degrés et produit une première performance immersive Dans l'impasse, une expérience collective.
En s’intéressant à la transdisciplinarité art vivant & numérique, elle et son équipe interrogent la notion d’innovation au théâtre via l'usage des technologies et les dramaturgies modulables.
Elle crée donc La Grande Suite (création 2023) et reçoit avec ses co-auteurs un prix à l'écriture de théâtre immersif de la Fondation Polycarpe. Lauréate du Fond pour Talents Émergents 2020 de la Région Ile-de-France, elle est accompagnée par le Centquatre-Paris. En 2021, Le CEPM n°7, installation performative dérivée est créée à la MC93.
La même année, elle co-crée avec Le Cube - centre d'art numérique une performance immergée autour de l'exposition virtuelle IA, qui es-tu ?. Depuis, elle fait partie du Vivier du Théâtre Nouvelle Génération, CDN de Lyon.
Elle collabore ou a collaboré récemment avec Isabelle Adjani, Cyril Teste - collectif MxM, Juan Miranda, Simón Adinia Hanukai, Josée Dayan, Eric Woreth, etc.
Comment définiriez-vous votre style de mise en scène ?
Un jour, d'anciens compagnons d'école m'ont dit à la sortie d'une représentation que ce qu'ils venaient de voir c'était une projection de mon univers telle qu'ils l'avaient toujours perçu. Je ne pourrais pas me définir un style mais je m'attèle à être fidèle aux images que j'ai et qui me viennent pour tisser de manière instantanée des liens avec ce qui se produit sous mes yeux lors du travail. J'ai aussi un besoin constant de ré-insuffler dans mes créations la question de l'expérience du spectateur, le spectacle vivant n'existe pas dans les répétitions et lorsque l'œuvre est "fin prête", il existe quand on ouvre les vannes et que ça agit entre spectateurs et interprètes, un théâtre super-vivant, performatif si on peut dire. Mon intérêt pour l'usage du numérique c'est pour renforcer ces liens-là, pour activer une vraie rencontre. Ma quête est celle de la légèreté, non pas qu'elle ne serait pas sérieuse, mais elle éviterait toute pesanteur.
Comment recrutez-vous vos comédien.ne.s ? Et qu’attendez-vous d’eux ?
Je n'ai jamais fait d'audition. Je crois à la rencontre avec des créateurs, avec qui je sens que je suis susceptible de marcher le long d'un sentier assez long, car le spectacle vivant est une affaire de longueur... C'est une question d'intuition, mais aussi le besoin de découvrir qu'il y a d'un côté, un univers appartenant à un être humain qui nourrit l'univers d'un autre être humain. Ça prend évidemment plus de temps mais j'aime ça. Ce qui m'émeut plus que tout chez un.e comédien.ne c'est la précision dans le travail au plateau. Comme je travaille l'écriture de manière collégiale, j'aime l'écoute des uns aux autres, mais aussi la possibilité de donner une attention égale à chacun.e.
Selon vous, quel est le rôle d’un metteur en scène ? Et comment faire une bonne mise en scène ?
Mettre en scène c'est instaurer la confiance et travailler dans la confiance. C'est être cheffe d'équipe dans le souci d'atteindre l'harmonie telle qu'elle s'illustre dans ma tête et telle qu'elle doit exister de manière concrète à chaque réunion en résidence, au plateau, au moment de penser les questions de production, etc. C'est savoir prendre les bonnes décisions au bon moment et être constamment dans la communication : si tout est dit, on navigue en eaux saines, pas en eaux troubles.
Quel est le plus gros challenge que vous avez rencontré dans votre carrière ?
Chaque projet est toujours un challenge plus gros que le précédent chez moi ! (rires)
Quelles sont vos plus grandes influences ?
Là tout de suite ce serait : Italo Calvino, travailler en collectif avec MxM - Cyril Teste, l'univers de @camille__lemonnier, scénographe avec qui je travaille, Un Sacre de Lorraine de Sagazan, les vidéos de Tristan Cottin @onferasans, le bordel organisé des Chiens de Navarre, la scéno et les personnages si touchants chez Philippe Quesne, la grande intelligence de l'oeuvre de Rimini Protokoll, Domo de Eŭropa de Thomas Bellinck, Les TGStan, TOUT Yórgos Lánthimos, Thunder Road de Jim Cummings...
Quelle est la pièce ou le texte que vous rêveriez de monter ?
Un spectacle qui aurait commencé ou qui ne commencerait peut-être jamais, où l'on ne saurait pas exactement qui joue, qui ne joue pas, où notre inconscient nous jouerait des tours. Justement aurais-je rêvé de le monter ou bien l'aurais-je réellement monté ?
Que souhaitez-vous transmettre durant votre stage au sein du Libre Acteur ?
L'acte de transmission est fort et je pense qu'il ne s'opère pas seulement d'un intervenant à des stagiaires mais que c'est un échange qui nous emmène tous au-delà de ce que nous sommes. Je voudrais que l'on se rencontre vraiment dans le travail, entre créateur.rice.s. Ce qui me touche le plus chez un.e interprète c'est sa capacité à utiliser sa singularité pour en faire un atout au plateau, on travaillera ensemble là-dessus. Je désire également travailler la notion de performativité plutôt que celle de théâtralité.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
J'ai entamé une recherche en écriture scénique en 2021 qui se poursuivra jusqu'en 2023 autour d'un nouveau concept de théâtre "5 dimensions" au TNG, Centre dramatique national de Lyon. La Grande Suite sera créée en 2023. Je travaille à l'élaboration d'un échange franco-argentin avec MARTE pour une création in situ en 2024.