ENTRETIEN AVEC
ÉLÉONORE JONCQUEZ
Comédienne et metteuse en scène née en 1982. En 2004, elle est reçue au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique. Durant ses trois années d’apprentissage, elle côtoie de grands metteurs en scène et pédagogues, tels qu’Andrzej Seweryn, Dominique Valadié, Christophe Rauck, Cécile Garcia-Fogel, Wajdi Mouawad qui ne cesseront d’influencer et d’inspirer son travail d’actrice.
En même temps que sa formation au Conservatoire, elle entame une longue collaboration artistique avec le metteur en scène et auteur Côme de Bellescize qui la dirige dans plusieurs de ses spectacles, comme « Amédée » créé en 2012 au Théâtre de la Tempête pour lequel elle obtient le Beaumarchais de la révélation théâtrale ou « Eugénie » crée en 2015 au Théâtre du Rond-Point.
En 2008, elle joue à la Comédie Française dans le spectacle « Yerma » mis en scène par Vicente Pradal, puis elle rencontre le metteur en scène Jean-Christophe Blondel qui lui propose le rôle d’Ysé dans « Partage de midi » de Paul Claudel. Le spectacle sera créé en 2009 et partira pour une tournée d’un mois en Chine.
Entre 2010 et 2018, elle participe à plusieurs créations collectives de la compagnie Les Sans Cou, sous la direction d’Igor Mendjiski. Leur spectacle « Notre Crâne comme accessoire » est créé au théâtre des Bouffes du Nord en 2016. En parallèle, elle travaille avec d’autres metteurs en scène, comme Philippe Adrien, David Géry ou Guillaume Séverac-Schmitz dans des pièces du répertoire.
En 2014, elle joue le rôle de la Princesse Nathalie dans « Le Prince de Hombourg » mis en scène par Giorgio Barberio Corsetti, dans la Cour d’honneur du Palais des papes, lors du festival d’Avignon.
De 2012 à 2017, elle est la voix de Brigitte Tornade dans la série radiophonique France culture « La Vie trépidante de Brigitte Tornade » écrite par Camille Kohler. En 2017, elle incite celle-ci à écrire une pièce de théâtre inspirée de la série. Elle en signera sa première mise en scène, tout en continuant d’interpréter le rôle-titre. Le spectacle « La Vie trépidante de Brigitte Tornade » est créé en septembre 2019 au Théâtre Tristan-Bernard, il obtient quelques mois plus tard, le Molière
2020 de la comédie.
En 2022, elle crée, au théâtre de La Tempête, son nouveau spectacle « OVNI », une pièce cosmico-métaphysique d’Ivan Viripaev.
Photos ©Noémie Kadaner
Comment définiriez-vous votre style de mise en scène ?
La question n'est pas simple car le style dépend beaucoup de l'œuvre choisie. N'étant pas autrice, mon travail consiste à trouver la forme la plus adéquate pour révéler le contenu d'une œuvre écrite ou du moins, ce que j'en perçois. Cela dit, je m'en rends compte que j'ai toujours besoin d'une forte incarnation des personnages et d'un certain réalisme dans l'interprétation et la scénographie. Ce qui n'empêchera pas la démesure, au contraire. Mais j'ai besoin de partir d'une identification possible et de concret. L'énergie du jeu et la précision de la pensée sont aussi capitales pour moi, j'aime le théâtre de texte, classique ou contemporain et je vois ma mission dans le fait d'extraire le plus possible de vie des textes que je choisis de monter.
Comment recrutez-vous vos comédien.ne.s ? Et qu’attendez-vous d’eux ?
J'attends d'un comédien et d'une comédienne qu'ils soient le plus vivants possible. Je veux dire par là qu'ils sachent donner vie à une situation et à un texte comme si ceux-ci étaient en train de se fabriquer, de s'inventer devant nous. Cela nécessite une grande rigueur dans la recherche du sens de la phrase, de ce qu'elle doit provoquer chez le partenaire, et une volonté farouche de se débarrasser des scories de jeu, des façon de parler "pseudo juste" pour atteindre un jeu réellement actif, renouvelé ou l'on n'a pas cette impression que l'acteur enfile des perles et joue tout de la même façon.
Selon vous, quel est le rôle d’un metteur en scène ? Et comment faire une bonne mise en scène ?
Il me semble que s'instaure un passionnant travail entre l'acteur qui doit défendre son personnage et ses "parties" bec et ongle et le metteur en scène qui a la vision globale du spectacle et de ce que j'appelle "la flèche", c'est à dire ce vers quoi le spectacle tend, son point de départ et son arrivée. Ce qui fait qu'il ne pourrait pas durer plus ou moins longtemps, que chaque instant a son importance et que tout converge. C'est l'alchimie de ces 2 talents, l'acteur "avocat" de son personnage et le metteur en scène "équilibriste" qui donne vie et puissance aux mises en scène.
Quel est le plus gros challenge que vous avez rencontré dans votre carrière ?
En tant qu'actrice, jouer Ysé dans "Le Partage de midi" de Claudel a provoqué un changement profond dans ma manière d'appréhender le travail d'interprétation. En effet, face à un texte aussi profond, dense et poétique, le jeu ne s'appuyait dès lors plus que sur la recherche du sens et du concret. Débarrassée des oripeaux de la question du personnage, de sa pseudo cohérence ou psychologie (on dira comme on voudra), ne s'attachant qu'aux mouvements de la pensée, j'ai appris à plonger sans filets dans les immenses possibilités ouvertes à l'interprétation qu'offrent les grands textes de théâtre.
Quelles sont vos plus grandes influences ?
Pour la direction d'acteur, Declan Donnellan, Antoine Vitez, Christophe Rauck. Pour la dramaturgie et la puissance des images, Robert Lepage, Emma Dante, Ariane Mnouchkine.
Quelle est la pièce ou le texte que vous rêveriez de monter ?
"Le Soulier de satin" de Paul Claudel.
Que souhaitez-vous transmettre durant votre stage au sein du Libre Acteur ?
Le travail d'interprétation qui s'appuie uniquement sur les mouvements de la pensée et qui offre une grande liberté au jeu de l'acteur. Le plaisir pour l'acteur de proposer lui même une lecture de la scène qu'il travaille, en proposant sa mise en scène, sa vision et prenant place comme "acteur créateur".
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
"OVNI" d'Ivan Viripaev (jeu et mise en scène), un court-métrage "Pollock" (écriture, jeu et réalisation), "Le Bonheur des uns" de Côme de Bellescize (jeu).