ENTRETIEN AVEC
ELIZA CALMAT
Eliza Calmat est comédienne et metteure en scène spécialisée dans le théâtre immersif, créatrice du nouveau spectacle de cinéma immersif "No Fate - Terminator 2" qui se joue à Montreuil depuis Mai 2022 avec Dream Factory. Elle est la directrice artistique de la compagnie de Théâtre immersif Neuf Sens.
Formée au théâtre classique et contemporain ainsi qu'à l'improvisation, elle exerce depuis plus de quinze ans les métiers de comédienne, metteure en scène, et productrice à la fois au théâtre et au cinéma.
Eliza cherche à développer des projets artistiques originaux et des créations théâtrales immersives tout en interrogeant le processus de transmission du metteur en scène. Son parcours artistique s’enrichit d’autres formes narratives, comme le conte. Elle croit en la force du collectif et réunit autour d’elle artistes français et internationaux.
Elle est notamment engagée dans un dialogue de création collective au sein de la communauté artistique européenne.
Elle a collaboré longtemps avec la compagnie du Théâtre de Jade, au sein de laquelle elle a découvert le théâtre forum et le théâtre invisible. C'est ainsi qu'elle s'est tout naturellement tournée vers le théâtre immersif et la création alternative dans le but de produire des œuvres innovantes qui suscitent des émotions fortes au public. Dans ses créations, elle questionne les frontières entre réalité et fiction, et cherche à renouveler l'intérêt et attirer de nouveaux publics vers des oeuvres théâtrales et cinématographiques.
Comment définiriez-vous votre style de mise en scène ?
Pour moi, le théâtre immersif est au croisement entre le théâtre, le cinéma et le réel. Je cherche à ce que mes acteurs soient dans une vérité de jeu comme au cinéma, mais en incarnant physiquement leurs personnages à 360 degrés. Je suis très attachée à mêler acteurs et spectateurs, et ça passe aussi par du travail d’improvisation. Ma mise en scène inclut les différentes réactions possibles des spectateurs, ils sont une des composantes de la représentation théâtrale immersive, au même titre que le texte et les décors. Dans mes mises en scènes, les spectateurs vont choisir leur place: être comme de discrets fantômes pour suivre l’intimité d’une scène, devenir l’interlocuteur direct de l’un des personnages, ou carrément influencer l’histoire! Les actrices et acteurs vont étirer ce quatrième mur selon les moments de la pièce. J’utilise un mélange de techniques issues du théâtre forum (Augusto Boal), des méthodes américaines de l’Actor’s studio (Meisner, Strasberg) et de Viewpoints.
Comment recrutez-vous vos comédien.ne.s ? Et qu’attendez-vous d’eux ?
Pour mon dernier spectacle immersif, "No Fate - Terminator 2", j’ai questionné et créé un modèle d’auditions. J’ai rencontré plus de trois cents comédiennes et comédiens, tous recommandé.e.s ou que j’avais vu jouer, en deux étapes. Une première audition de 40 minutes mêlant texte et improvisation dans un espace non théâtral, et une deuxième phase en workshop de deux jours où je propose aux acteurs de travailler selon mes méthodes, tous ensemble (une quarantaine), pour voir comment leur singularité peut s’exprimer dans le groupe, leur adaptabilité aux outils immersifs, et en créant des situations proches de celles vécues en spectacle, avec certains acteurs jouant les spectateurs. J’attends d’eux qu’ils soient porteurs d’histoire, de lien, de la légende de leur personnage et des enjeux avec leurs partenaires plutôt que de coller à un texte à tout prix. Je recherche des artistes et humains curieux de jouer dans un décor réel, avec des non-acteurs, les spectateurs, et dans le plaisir d’inventer une histoire unique à chaque représentation. Je suis très attachée à un jeu réaliste.
Selon vous, quel est le rôle d’un metteur en scène ? Et comment faire une bonne mise en scène ?
Selon moi, le rôle du metteur en scène est de créer le groupes d’artistes, d’humains prêt à toutes les situations. Le public est un élément essentiel en immersif et il doit être guidé. Pour moi, le metteur en scène doit donner les outils à ses acteurs pour faire vivre une histoire, des histoires de personnages, quelque soient les réactions en face durant la représentation. C’est, durant le travail de répétition puis au fur et à mesure des représentations, donner accès aux acteurs à leur propre version du personnage et permettre qu’elle grandisse.
Dans mes mises en scènes, il y a toujours des personnages qui guident les spectateurs dans l’imaginaire de la pièce. Je joue ce rôle, ce qui permet d’orchestrer de l’intérieur et de suivre en direct les différentes scènes. Pour faire une bonne mise en scène, il faut d’abord des acteurs incroyables, qu’il y ait une alchimie entre eux, et pouvoir leur transmettre une vision de l’histoire qu’on raconte. La spécificité de l’immersif veut qu’on joue simultanément des scènes dans des espaces différents. Il est indispensable d’être au diapason dans tous les espaces pour transmettre la même histoire. Pour moi ça passe nécessairement par mettre en scène aussi les spectateurs. Mes acteurs ont tous des formations très différentes : cinéma, théâtre, improvisation, cascades etc. L’enjeu principal pour mettre en scène cette effervescence collective est de comprendre comment parler la même langue. Créer des nouveaux termes ensemble et identifier ce qui sera le plus impactant pour chaque artiste dans son travail de création individuelle.
Quel est le plus gros challenge que vous avez rencontré dans votre carrière ?
C’est mon dernier spectacle, "No Fate", qui est un spectacle de cinéma immersif, c’est la première fois en France et une des étapes de création était de comprendre comment guider les spectateurs dans l’histoire. Ce spectacle est une adaptation de Terminator 2, de James Cameron, nous jouons depuis le mois de Mai 22 et jusqu’à Avril 23. Ce spectacle réunit trente-deux acteurs, dix techniciens et plus de cent personnes qui ont créé les décors, les costumes, effets spéciaux make up, les musiques originales, du son spacialisé et des lumières cinéma. C’est un énorme défi humain et technique et je suis heureuse qu’il aie vu le jour! C’est une grande aventure, j’ai beaucoup de chance de la confiance et du talent des personnes avec qui je travaille.
Quelles sont vos plus grandes influences ?
Mes plus grandes influences sont Augusto Boal, créateur du Théâtre Forum et du Théâtre de l’Opprimé, pour son travail sur le jeu entre acteurs et non-acteurs, et Peter Brooks pour sa capacité à raconter une histoire d’anthologie avec simplicité et réalisme, en partant des acteurs. Je suis aussi marquée par le travail de Punchdrunk, qui reste précurseur en immersif. Ce qui me touche, comme spectatrice et comme metteure en scène, c’est quand le magique, le grandiose, devient palpable.
Quelle est la pièce ou le texte que vous rêveriez de monter ?
In the Country of Last Things, de Paul Auster, cela fait plusieurs années que je travaille dessus.
Que souhaitez-vous transmettre durant votre stage au sein du Libre Acteur ?
Je souhaite transmettre mes méthodes de création immersive, les outils qui permettent aux acteurs de créer leurs personnages dans une sincérité de jeu, tout en étant capables de jouer à 360 degrés. Je souhaite partager avec des comédiens, quelque soit leur bagage, les outils qui permettent de jouer de façon réaliste dans un contexte différent d’une scène théâtrale, notamment dans l’interaction avec des spectateurs. Nous questionnerons le jeu et le non-jeu, la transmission d’un texte de façon réaliste, et la construction de personnages entre légende personnelle et improvisation. J’utilise aussi la méthode Élise McLeod dans la construction des rôles, et partagerai ces outils.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
Je suis très prise par notre spectacle actuel, No Fate, que nous cherchons toujours à faire grandir et améliorer, et nous commençons à penser aux prochains films à adapter en cinéma immersif. Je fais par ailleurs partie de plusieurs groupes internationaux de créateurs immersifs, et la transmission des outils de création fait partie de mon militantisme pour cette forme artistique :)